mardi 9 septembre 2014


Il sortit un soir de sa tanière. Il avait une tanière dans chaque ville. C’était une pièce, la même partout, sans électricité et sans confort. Il ne se lavait  pas. Il ne mangeait pas. Et quand il était affamé, quand il puait tellement que les gens l’évitaient, il prenait une chambre d’hôtel, il se lavait, il mangeait alors durant quelques jours et puis il changeait d’endroit.
Il vécut ainsi jusqu’à un âge avancé.
Il était toujours seul.
Son odeur finissait par lasser, même les gens qui s’attachaient à lui.
Il n’aimait pas qu’on s’attache à lui.
Il l’acceptait avec une relative indifférence.
Il acceptait des gens à ses côtés pour peu qu’ils ne fassent pas trop de bruit, qu’ils ne perturbent pas l’intérieur de son silence.
Il n’a jamais rejoint personne, nulle part. Il n’est allé que là où ses pas le conduisaient. Pour l’instant ses pas ne se sont jamais mis dans ceux d’un autre, dans aucune empreinte, connue ou inconnue. Il a toujours marché dans une forme de désert, sur une forme de bitume qui ne marque aucun pas, aucune marche, aucune voute plantaire ou semelle de chaussures. Il marche au soleil levant. Pendant un temps indéterminé mais qui n’excède pas la nuit. La nuit il se couche. Il dort d’un sommeil lourd et sans rêve et le matin, lorsqu’il se réveille, il perd encore plus de ce qu’il a perdu la veille, concernant ce qu’il sait, ce qu’il savait, concernant son histoire ou son nom ou son âge ou ce qu’il a vécu avant. Il passe sa vie à oublier sa vie. Passe sa vie à oublier ce qu’il a fait la veille, l’heure qui suit. Viendra un temps où la minute même d’avant, la seconde même d’avant, sera oubliée. Il attend ce moment. Temps sans temps, perpétuelle renaissance, perpétuelle agonie, ces temps seront ramassés en un seul instant illuminant, peu importe ce qu’il fait, ce qu’il fera, ce qu’il a fait, cet instant sera unique et répétitif à la fois, constamment réinventé, constamment célébré, constamment, avec éblouissement tué aussi. Et routinier.
Ce moment n’est pas encore venu. Il le sait. Mais il sait déjà que quand il sera là, il ne le saura pas. Il l’aura oublié. Il sera passé alors de l’autre côté.