Sentimental Absorption
Pendant un an, j'ai travaillé à l'écriture d'un synopsis développé, pour un film, un long métrage, qui verra peut-être le jour un jour, intitulé "Sentimental Absorption".
Ce synopsis, d'environ 60 pages, est une matière. Mes mains posées sur cette matière, il y a quelques temps, je l'ai entendu me parler. Et comme dans un acte chamanique, une énergie est passée de mes mains à mon coeur, à ma tête.
La matière est multiforme, la matière est mutante, cyborg aussi. Elle appelle à plusieurs formes, elle appelle à se greffer à d'autres organismes pour changer d'aspect, se métamorphoser, changer de corps.
Cinéma peut-être un jour, si mon travail arrive à traverser les réticences, les peurs institutionnelles, j'allais dire leurs conventions.
Ecriture à partir de maintenant. Car l'écriture ne dépend que de moi. Et c'est ainsi, en ne dépendant que de moi, que quelque chose se libère et fait, et agit
Voici un extrait.
Il y en aura d'autres.
Ce blog accompagnera de temps en temps, l'écriture de ce texte.
"Jonathan
se redresse, tenant toujours la main de Gabriel dans la sienne. Il sent quelque
chose, il ne sait pas quoi, il sent… de la vie, de la vie au milieu des morts.
Un froid le traverse, un courant d’air froid, venant de nulle part. Jonathan regarde intensément Gabriel mais il
ne voit rien. Il ne voit pas que quelque chose remue dans son corps. Que
quelque chose tente de sortir, par le ventre, de son corps mort. Personne ne le
voit. Personne ne voit que la chemise, l’uniforme de collégien de Gabriel se
boursouffle, que des fendillements, puis des fissures apparaissent sur la peau
de son ventre qui se craquelle, s’effrite, dévoilant des organes et du sang. De
la dépouille de Gabriel s’extrait péniblement un pied, un genou, puis un buste,
une tête, un corps entier enfin, nu. C’est un corps très robuste, grand,
puissant. Bien plus grand que celui dont il vient. Et pourtant, pour sortir de
ce corps d’adolescent, il doit rassembler toutes ses forces, il doit se battre
avec la matière : quelque chose
d’invisible voudrait le retenir là, dans ces viscères, dans ces os, dans ces
membranes sans vies. Il s’arrache à la dépouille dans un ultime geste et se
dresse enfin.
L’homme
est une anticipation parfaite de ce que pourrait devenir Gabriel dans vingt ou
trente ans. Il est Gabriel. Il s’élève au-dessus du sol, vertical, parfaitement
droit. Il vole presque vers le fond de la chapelle. Dans le sol de pierre, au
fond du bâtiment, attachée à un gros anneau de fer, il y a une épaisse corde en
chanvre. A peine l’a-t-il touchée qu’elle semble prendre vie. A la manière d’un
gros serpent, elle s’enroule autour de son poignet et elle tire sur l’anneau, le
déboîtant du sol. Un petit escalier de pierre, abrupt, apparaît, éclairé par de
petites lanternes. La corde doucement entraîne l’homme qui descend.
Atteignant
la dernière marche, il pose son pied sur un liquide blanc, épais et visqueux.
La plante de ses pieds, en contact avec cette matière douce, glisse comme sur
de la glace. Et, entrainé par la corde, il se laisse faire, il se laisse
emmener jusqu’à une petite chambre dans laquelle un enfant d’une dizaine
d’années est allongé, nu, sur un lit, avec des bougies autour de lui, comme
pour une veillée mortuaire. Cet enfant a les yeux fixes et immensément ouverts.
Il est étrangement figé dans une immense inspiration : son torse est très
haut, empli d’air, ses poumons, gonflés à bloc.
L’homme
s’approche de lui lentement. Il n’ose pas le toucher. Sa peau ne semble pas
réelle. Elle est translucide, Ses veines, apparentes, irradient au travers,
donnant à son corps une couleur bleue pâle.
Il avance
sa main vers l’enfant, doucement. Il touche une peau froide, douce, comme
recouverte d’une couche de vernis, ou de glace.
Cette peau ne pourrait être ni pincée, ni
griffée, elle se briserait en de multiples petits éclats, comme du cristal.
La
corde le tire encore, l’arrache à l’enfant et l’emmène au bout de la pièce,
elle suit le liquide blanc qui mène à un second escalier, se déversant par flot
dedans, plus dense, plus épais.
Résistant
à la pression de la corde, il descend lentement l’escalier, marche à marche et
s’enfonce, au fur et à mesure, dans une obscurité profonde, trouée seulement
par le sol blanc.
Arrivé
en bas, la corde se déroule, de son poignet, glisse à terre, se perd dans le
liquide blanc, disparaît.
L’homme
touche un mur. Celui-ci est recouvert
d’un tissu rêche, rembourré comme celui d’un matelas. La pièce est si petite
qu’il en fait le tour en quelques pas.
Au
centre de la pièce trône un objet imposant, une sorte de statue dont il ne
perçoit que la masse. Il avance sa main dans le noir. Il sent, au bout de ses
doigts, un contact doux, de la douceur d’une peau de pêche. La peau est glacée.
Il voudrait la pincer mais il ne peut pas, elle est complètement rigide. Il a
tout de suite identifié que ce qu’il touchait n’était pas vivant. Il lève sa
main, palpe plus haut. Il sent des épaules, les bras sont coupés… Il touche des
pectoraux, des têtons, il descend sa main, il sent des abdominaux bien
dessinés, un nombril, il descend encore, une bosse en guise de pénis, les
jambes sont coupées. Il remonte un peu sa main : entre les têtons et le
nombril, il croit sentir quelque chose, comme une longue coupure, une fente en
plein milieu de ce qu’il peut appeler un torse. Il la retrouve. La peau semble
avoir été coupée net, fendue en deux. Il touche la fente. Dans l’obscurité, il
se fie à la sensation au bout de ses doigts. Il a les pieds dans le liquide
blanc, qui est devenu glacé, comme une sorte de neige filandreuse et sa main
parcourt la fente, ses doigts poussent dedans, appuient sur la matière qui,
étrangement, se laisse faire, s’ouvre, et sa main s’engouffre dans un trou dont
il ne connaît pas les contours. Il bouge la main dans le vide, il enfonce son
avant bras, puis son bras. Au bout de ses doigts, il sent quelque chose, un
liquide encore, gluant mais chaud, tellement agréable. Il le fait glisser dans
sa paume et ce liquide envahit sa main de chaleur.
Il
soulève un pied et lentement lui fait traverser la fente. Et il enfonce sa
jambe, atteignant bientôt, encore, au bout de ses doigts de pied, ce liquide sensuel et magique. En équilibre
sur une seule jambe, il enlace, d’un bras, la masse statuaire. Celle ci est si
lourde qu’elle ne bouge pas d’un pouce et il peut se laisser aller complètement
contre elle, contre cette peau artificielle, douce et froide. Il reste un
instant ainsi, un pied, une main dedans, au chaud, et le reste du corps dehors,
froid, collé à la statue.
Puis
il poursuit son exploration. Il prend appui, avec son pied, à l’intérieur de la
statue. Et il se soulève. Il soulève ses fessiers, il décolle son pied du sol.
Je pourrais rentrer à l’intérieur. Je pense
que je pourrais. Il faut juste que je me plie.
Il
plie la tête, il recroqueville ses épaules, il perce la fente avec son crâne.
La peau s’ouvre, la peau l’accueille, sans résistance. Il pénètre dans l’antre
par le côté, par l’épaule, lentement, : l’épaule, la tête, le buste… Ah,
si il pouvait être plus petit…
Il
recroqueville encore ses épaules. Il pousse. Il se rend compte alors que le
liquide chaud n’est pas uniquement au fond du trou mais sur toutes les parois,
réchauffant son crâne, son épaule, la peau de son bras au fur et à mesure qu’il
se serre pour pouvoir caser son corps encombrant dans l’antre."