Il
sortit un soir de sa tanière. Il avait une tanière dans chaque ville. C’était
une pièce, la même partout, sans électricité et sans confort. Il ne se
lavait pas. Il ne mangeait pas. Et quand
il était affamé, quand il puait tellement que les gens l’évitaient, il prenait
une chambre d’hôtel, il se lavait, il mangeait alors durant quelques jours et puis
il changeait d’endroit.
Il
vécut ainsi jusqu’à un âge avancé.
Il
était toujours seul.
Son
odeur finissait par lasser, même les gens qui s’attachaient à lui.
Il
n’aimait pas qu’on s’attache à lui.
Il
l’acceptait avec une relative indifférence.
Il
acceptait des gens à ses côtés pour peu qu’ils ne fassent pas trop de bruit,
qu’ils ne perturbent pas l’intérieur de son silence.
Il
n’a jamais rejoint personne, nulle part. Il n’est allé que là où ses pas le
conduisaient. Pour l’instant ses pas ne se sont jamais mis dans ceux d’un
autre, dans aucune empreinte, connue ou inconnue. Il a toujours marché dans une
forme de désert, sur une forme de bitume qui ne marque aucun pas, aucune
marche, aucune voute plantaire ou semelle de chaussures. Il marche au soleil
levant. Pendant un temps indéterminé mais qui n’excède pas la nuit. La nuit il
se couche. Il dort d’un sommeil lourd et sans rêve et le matin, lorsqu’il se
réveille, il perd encore plus de ce qu’il a perdu la veille, concernant ce
qu’il sait, ce qu’il savait, concernant son histoire ou son nom ou son âge ou
ce qu’il a vécu avant. Il passe sa vie à oublier sa vie. Passe sa vie à oublier
ce qu’il a fait la veille, l’heure qui suit. Viendra un temps où la minute même
d’avant, la seconde même d’avant, sera oubliée. Il attend ce moment. Temps sans
temps, perpétuelle renaissance, perpétuelle agonie, ces temps seront ramassés
en un seul instant illuminant, peu importe ce qu’il fait, ce qu’il fera, ce
qu’il a fait, cet instant sera unique et répétitif à la fois, constamment
réinventé, constamment célébré, constamment, avec éblouissement tué aussi. Et
routinier.
Ce
moment n’est pas encore venu. Il le sait. Mais il sait déjà que quand il sera
là, il ne le saura pas. Il l’aura oublié. Il sera passé alors de l’autre côté.
C'est un très beau texte. je me sens assez parent de celui que tu décris...
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