Bill
Viola au Grand Palais
Cela
était une expérience forte, même si j’ai vu, après avoir acheté le catalogue,
que j’avais raté plusieurs choses, et non des moindres.
C’est
avant tout une expérience sur le temps : il faut prendre le temps, son
temps. Et sans doute que mon temps intérieur, mon temps de concentration et de réception était un peu court pour pouvoir tout accueillir , j'ai donc "zappé" quelques travaux que je retournerai voir.
On entre dans un espace parfaitement noir, on passe de pièce en
pièce avec ce sentiment d’être dans un univers mental. C’est de l’ordre de la
méditation, les œuvres de Bill Viola, du rituel aussi. Et d’une certaine forme de
spiritualité.
Tout est en plan fixe, même si à l'intérieur de ce plan fixe, il monte, il change des choses, jouant ainsi avec une illusion du temps linéaire.
The reflecting pool, la
première vidéo, est, à ce titre, impressionnante :
On assiste là à une sorte d'installation à l’intérieur
même du film.
Il y a un bassin au milieu de la nature,
et un homme arrive devant, s'arrête et puis plonge. Mais plonge-t-il vraiment ? Je ne crois pas. Moi
je l’ai vu comme en suspens dans son mouvement, immobilisé en l'air pendant très longtemps, tandis que se reflète
dans l’eau, durant ce moment suspendu, un paysage mouvant, vivant, changeant, qui n'est pas conforme à ce qu'il devrait être, tant au niveau des arbres, de la vitesse du vent que celui de la lumière : on passe de la nuit au soleil, les ombres vont vite puis lentement, les branches des arbres changent....
On perçoit ainsi le temps d'une manière divisée : à la surface du bassin, on est dans une continuïté linéaire, un bassin filmé à un moment de la journée, et dans les reflets du bassin, on plonge dans un temps autre, irréel, plus rapide, qui se régénère, passe de l'ombre à la lumière, mobile, imprévisible, vivant, inquiétant finalement ...
A
le regarder ainsi longtemps, on se perd, on perd la notion du temps, à
l’affut de ce qui se passe dans le reflet, à l’écoute d’un
temps « en-dessous » du nôtre, intérieur, ou le jour, la nuit, le soleil et
l’ombre se déploient dans une vitesse irréell,e dans la tranquilité de l'eau d'un bassin.
Je me trouve alors, au coeur d'un monde de sensations. Et cela ne va pas me quitter de toute l'exposition.
La
deuxième vidéo est l’une de celles qui m’a le plus touché. Elle s’intitule
Heaven and Earth : A hauteur des yeux, il y a deux petits moniteurs qui se
reflètent l’un dans l’autre . Les moniteurs sont fixés sur des supports en
bois, l’un fixé au sol, le moniteur orienté vers le plafond, l’autre fixé au
plafond, le moniteur orienté vers le sol.
Sur
chaque moniteur, il y a un visage : sur l’un, celui d’une vieille femme
(moi j’ai vu un vieil homme, l’âge, comme la première enfance, tend à abolir
les genres). Sur l’autre, un nouveau-né
de quelques jours.
Les
deux images se mêlent l’une à l’autre, le visage du bébé se reflétant dans
celui de la vieille femme, qui a d’ailleurs une sorte de masque mortuaire,
qui vit peut-être ses derniers instants
de vie.
Cette
vidéo est saisissante, vraiment, et j’ai pris un temps infini à la regarder.
Cette
superposition des deux âges extrêmes de la vie c’est quelque chose de
bouleversant. Et en même temps c’est très simple.
Ce
qui est subtil et étrange, c’est le dispositif lui-même, le fait que les écrans
soient « à plat », horizontaux, et non verticaux.
Et
qu’ils soient petits.
Cela
donne quelque chose de matériel à cette sensation/pensée, avec un insterstice
entre les deux écrans, entre les deux images, qui permet, non seulement à notre
regard, à notre tête, de se pencher vers l’une ou vers l’autre, mais plus
métaphysiquement, cet espace entre les deux écrans, qui nous permet de regarder
l’œuvre, est aussi l’espace de la vie entre la naissance et la mort, et c’est
dans cet interstice que se pose notre regard et donc notre être vivant.
Notre mouvement
d’yeux, de l’enfance à la vieillesse, est aussi la métaphore de nos points de
vue divers au fur et à mesure de notre vie,
Et nous pouvons aussi, par un regard englobant, saisir en une seule image notre naissance et notre fin de vie, notre
parcours de vie.
Enfin
pour terminer, je voudrais aussi parler de l’installation The veiling.
Des
voiles parralèles en tissus transparents sont suspendus au plafond. dans une grande salle. Le premier voile
est assez petit, puis au fur et à mesure de la
profondeur, ils deviennent plus grand.
Un
projecteur envoie des images sur le premier tissu, et elles se répercutent sur
les autres tissus, plus grandes, plus floues donc, plus incertaines.
Ce sont des images de nature,
de nuit, une femme marche dans les arbres, elle est habillée de blanc. Je crois
me souvenir que certaines images sont en noir et blanc, d’autres en couleur. Mais peut-être pas...
Une bande-son donne une ambiance de nuit, de bois, c'est un son fort, enveloppant, hypnotique.
Je suis resté.e un très long temps à regarder la nature
se reflétant sur ces multiples voiles. Les arbres par exemple, prenaient une réelle épaisseur au
fur et à mesure qu’ils se reflétaient dans la profondeur de la salle.
C'était une vision hypnotique, comme d'ailleurs toutes les vidéos présentées ici. On est, quand on se laisse faire, dans un état de conscience modifiée, dans un état hypnotique, et c'est cet état qui nous emmène dans un autre temps, dans un autre espace mental où l'on touche délicatement, à des choses essentielles et spirituelles, la vie, la mort, l'au-delà, les apparitions... on est toujours en quête d'apparitions, et les vidéos de Bill Viola sont emprunts de fantômes...
De
l’autre coté de la salle, il y avait exactement le même dispositif, les voiles se
rejoignant au milieu. Mais, j’ai appris ensuite, en regardant le programme, que le film
n’était pas le même et que c’était un homme qui était filmé.
L’homme
et la femme ainsi, au milieu de la
salle, coexistent sur les voiles, par leurs images superposées, ou mélangées,
alors qu’ils n’apparaissent jamais sur le même film.
Mais
cela je ne le savais pas.
Et
cela n’a pas grande importance.