lundi 24 mars 2014


Hier je suis allée seule voir le spectacle de Jean-René Lemoine sur Médée.




C’était beau. Seul en scène dans une sorte d’oratorio, il dit son propre son texte immobile ou presque, avec des lumières subtiles sur lui, de Dominique Bruguière qui fait apparaître le féminin en lui, une femme un peu âgée même parfois. Son visage fin et beau est celui d'une femme, son corps musclé, athlétique, celui d'un homme. Son costume, savament étudié : pantalon de smoking, chaussures vernis et plates je crois, et en haut, une sorte de drapé qui pourrait ressembler à un drapé romain ou ancien, ou encore au costume d’un spectacle de cabaret, mais aussi et surtout, contribuant à faire du volume sur son torse et ainsi, sans artifice, à le féminiser sans jamais le travestir. C’était cela qui était beau et subtil, cette féministation sans travestissement.
Jean-René Lemoine dit le texte, son propre texte, avec une grande douceur, une grande sensualité presque indolente, ce qui donne au personnage de Médée une force d’acceptation de son destin, d’acceptation de ses meurtres, puissante et inquiétante. Nulle hystérie, nul regret, tout est assumé. Son immense amour et désir de Jason, accepté comme une évidence contre lequel elle ne se révolte jamais. Il y a une immense force dans ce personnage, mise en relief aussi par un moment de sauvagerie intense, de rébellion, d’invectives contre la société et le peuple, crié soudain par cette exilée, déracinée, crié soudain par Jean-René Lemoine, invectivant la salle comme si celle-ci était la force normalisatrice, castratrice de désir, la « majorité normée » au regard de laquelle Médée sera toujours une paria, une étrangère.
Moment saisissant et qui donne à toute l’interprétation de l’acteur un relief incroyable : la lave en fusion qui bouillonne dans cette bouche douce qui accepte avec puissance et adhésion complète, son destin.
L’exil et la solitude de Médée sont aussi dans l’ambiguïté de genre de l’acteur, se situant sur la pointe des pieds, à l’intersection du masculin et du féminin, passant de l’un à l’autre avec grâce, délicatesse, étant aussi haïtien "mi blanc, mi noir"... tout est dans le "In Between"....
La représensation d’un mythe féminin puissant et ancestral est aussi tout à fait là : une femme ne vivant que pour, dans les yeux d’un autre (Jason), mais assumant cela avec une force, une cruauté et une fierté tranquille et immense.



samedi 22 mars 2014

Hier j'ai rencontré Claude Louis-Combet et sa compagne Mireille. J'avais le trac, ses livres m'impressionnent. Nous avions échangé une correspondance depuis environ un an, grâce à Natacha Nikouline qui lui avait fait parvenir mon dernier film, QueenS, qu'il avait beaucoup aimé. Je dois dire que ses lettres, très élogieuses sur mon travail, m'ont bouleversé.e et m'ont beaucoup aidé.e. Elles m'aident toujours beaucoup, juste à me dire que ce que je fais vaut le coup.
J'ai lu quelques livres de lui : "Blesse, ronce noire", "Suzanne et les croûtons", et son dernier livre, écrit en collaboration avec la photographe Elizabeth Provost : "Dérives", et toujours, à la lecture, il y a, mêlé à l'éblouissement de la grandeur de sa littérature, une sorte d'incrédulité heureuse, non pas de lire "quelque chose que l'on aurait aimé écrire" mais plutôt, de partager avec lui intimement, un processus d'être, de pensée, de ressenti. Même si notre imaginaire ou nos fantasmes ne sont  pas les mêmes. Et ceci est vraiment perturbant.
Il n'y a aucun jugement dans ce qu'il écrit, aucune distance moralisatrice, et cela ouvre, à la lecture, un champ de liberté infinie, de voyage intérieur.
Claude et Mireille m'ont parlé d'une strip teaseuse qu'ils avaient fréquenté à l'époque, qui a travaillé dans les années 50 et que l'on avait baptisé "la tragédienne du strip tease". Et leur déception lorsqu'ils l'ont revue il y a quelques années, âgée mais aussi n'ayant plus de gout à rien.

En regardant sur internet, je suis tombée sur des vidéos de ses strip teases, et sur son visage : magnifique.

La rencontre avec Claude Louis-Combet a été profonde et simple. Il revenait du Salon du Livre, fatigué sans doute mais semblait  heureux de notre rencontre. 

En espérant qu'il y en aura d'autres.


jeudi 20 mars 2014

FTU, tout à coup cela me semble limpide. Je vais là. Female To Unknown.
http://tetu.yagg.com/2013/03/07/ni-fille-ni-garcon-ils-sont-de-genre-inconnu/

Dans ce terme "unknown", il y a l'aventure, l'inconnu c'est l'aventure. Et puis il y a la sensation d'un mouvement. Passer d'un état à l'autre.
Remettre l'âge en perspective comme on remet le genre.
S'inventer en âge aussi.
F54TU

mardi 11 mars 2014

La naissance de Dominique à Genève.
Avec G, N et A.





C'était le 9 février 2014.

Il faisait très beau. Avec A et N, venus m’attendre à la gare de Genève, nous sommes allés nous promener près du lac et dans la vieille ville. Ils parlaient beaucoup et je me sentais entourée de légendes sur la ville, de sons, de sourires, de bienveillance. 

J'étais dans une très grande énergie. Calme même si j’avais le trac.

Puis  à l’hôtel, prendre un bain, me détendre, faire quelques exercices comme ceux que je faisais, dans un autre temps, avant de monter sur scène.

Et enfin le grand moment.


N avait amené un plat en terre, qu’il avait fait faire pour un rituel de passage et dans lequel il avait mis de l’eau. Sur ce plat étaient dessinés, tout autour, des runes.

Je me suis changée, ai mis un petit pantalon noir acheté à Berlin.

Puis nous avons, chacun notre tour, plongé nos mains dans l’eau, nous lavant ainsi de la journée, changeant d'espace-temps.

Nous sommes entrés ensuite dans une petite salle dans laquelle il n’y avait que des bougies, et une lampe diffusant de la lumière rouge. Une odeur d’encens  donnait à la pièce une atmosphère spirituelle et en même temps un peu étouffante. J’ai eu peur un moment que cela m’empêche de respirer, que cela m’étouffe un peu. Mais non.

Nous avons bu, en cercle, une goutte de vin dans un contenant à plusieurs ouvertures : G, N et A ont bu en me regardant, en hommage à ma naissance, renaissance. J’ai bu en les regardant, en les remerciant tous les trois d’être là, si totalement, pour moi, avec moi.

Je me suis assise sur un petit tabouret tournant, au centre de la petite pièce rouge, et N et G ont cherché les endroits possibles pour les deux crochets qu’ils allaient m’enfoncer dans le dos.

Ils parlaient entre eux, me pinçant la peau, tandis que mon cœur battait fort et que le trac était là, mais jamais inmaitrisable, car ce désir était le mien d’un bout à l’autre du processus.

Puis G m’a demandé de prendre une grande inspiration, puis d’expirer doucement. Et pendant mon expiration, il a enfoncé la première aiguille. 

C’était long. A peine sans doute cinq secondes, mais c’était long, j'ai senti une brûlure, on sent la première percée et on attend la fin, mais l’aiguille reste à l’intérieur longtemps avant de ressortir, avant la deuxième forte douleur. Ce temps paraît long. 

Mais à la fin, j’étais heureuse, une première étape avait été franchie.



Après quelques minutes, j’ai dit qu’ils pouvaient mettre le second crochet. Mes jambes tremblaient un peu, mon cœur battait fort, mais j’étais prête.

Après les pincements d’usage, les paroles échangées, le deuxième crochet entra dans ma peau, et celui-ci m’a fait vraiment plus mal que le premier, il semblait que de l’électricité avait traversé mon bras droit, jusqu’à la main. J’ai eu le sentiment d’être déchirée. Et le moment m'a semblé encore plus long que le premier.

 N et G étaient contents. La pose s’était bien passée.  Mais j’avais quelques difficultés à bouger mon épaule droite, c’était comme une sensation de brûlure intense.

Je me suis préparée à monter. 

J’avais encore mal à l’épaule droite, et j’avais l’impression qu’en bougeant, cela jouait sur les crochets dans ma peau. G alors m’a dit qu’il fallait laisser cette douleur là où elle était, ou bien, qu’il fallait la traverser, aller au delà, et sa parole, un peu comme durant une séance d’hypnose, a été déclencheuse de l’état que j’ai réussi à instaurer en moi pour pouvoir monter.

J’ai commencé à marcher, à essayer de sentir mon poids. Mes yeux se sont fermés et j’ai convoqué en moi un autre état de conscience, un état  ailleurs

N alors est venu vers moi et m’a tenu les mains.

Cette sensation bouleversante que l’autre est là, l’autre, qui est nécessaire pour qu'advienne ce que tu veux : ta naissance. L’autre, là sans mots ou presque, dans sa présence absolue, comme une sorte de présence pour la vie, l’essence de la vie. Je me suis accrochée à ses mains. Je reprenais vie, je reprenais, avec lui, le contrôle de ce que je voulais qu’il m’arrive. Et avec ses mains, j’ai commencé à relacher mon corps, à lâcher mon bassin, progressivement, à m’enfoncer de plus en plus dans le sol, faisant que la peau tirait sur les crochets liés à la corde que maintenait G. J’entrais de plus en plus en terre, mes mains dans celles de N, intensément présent. Il me semblait que c’était sans fin, cette allée dans l’enracinement, comme dans une tombe. Quelque chose était si lourd. N aussi l’a senti, il me l’a dit après : "avant ton envol, quelque chose de si lourd est sorti… " Lourd, bien plus lourd que mon corps que je croyais léger. Jamais je n’aurais pu penser que mon corps, ou celui de C, était aussi lourd.

 G en lien, avec moi, montait doucement la corde tandis que je m’abandonnais à la pesanteur, au poids de mon corps.

J’étais maintenant sur la pointe des pieds, mais toute entière tendue vers le sol, avec comme point de tension mes épaules. 

Puis mon esprit a basculé. C’était une bascule. Et mes pieds soudain, avec ce corps qui me semblait si lourd, se sont décollés de terre, 

Me voilà dans les airs, j’ai réussi ! j’ai réussi !

Plus aucune notion du temps alors ...

A était là, avec la caméra,me regardant avec une grande tendresse,  N avait les larmes aux yeux et je montai,  je ne sentais plus le poids de mon corps, ni les crochets, j’étais en l’air avec tout le poids de mon corps en moi. 

Je suis restée à me balancer, je ne sais pas combien de temps, le temps était aussi suspendu que moi, je n’en avais pas la notion… 

Lorsque mes pieds ont touché le sol de nouveau, il s’est passé une chose absolument incroyable : je n’arrêtais pas de m’enfoncer encore et encore plus profondément dans le sol, comme avec une gravité très forte. La sensation de se poser à terre était infinie, elle a duré très longtemps, un temps durant lequel je descendais encore et encore. C’était incroyable et bouleversant. Lorsque cela fut terminé, tout le monde était très ému. G m’a dit que cette sensation était dûe à la peau qui continuait à descendre alors que j’étais déjà au sol, qu’elle mettait plus de temps à descendre que ma conscience et que mon squelette. 


Ce moment fut un moment unique et magique. Un moment dont je me souviendrai toute ma vie.

 
J’ai vécu le passage. 
Maintenant mon nom est DOMINIQUE.